A l'heure des fake news et des controverses scientifiques, quel rôle pour le formateur ?
Entre le Professeur Raoult et l’étude du Lancet ou celle de Recovery, comment se positionner ? Comment en parler à ses étudiants ?
Mon propos n’est surtout pas de me positionner sur la discussion scientifique et sur les arguments qui opposent l’un à l’autre. Cela me serait très difficile, n’étant pas du tout un soignant.
Cependant ce qui m’intéresse dans cette polémique c’est qu’en place publique, nous avons des autorités qui ont une légitimité comparable et qui s’opposent frontalement. Il semble que la position du Lancet ait du plomb dans l’aile, mais cela ne change rien à la discussion.
Les arguments qui sont présentés sont techniques et sophistiqués, balaient des domaines très différents (les statistiques, l’éthique, la pharmacologie…) Les intervenants qui approuvent, contestent, critiquent… sont d’horizons très variés : des agences de santé, de pharmacovigilance, des instituts de recherche, des CHU…
Et le quidam dans tout cela ? Comment se positionne-t-il ? Comment s’y retrouve-t-il ? Pour moi qui ne suis qu’un parmi tant d’autres, l’enjeu est faible. Au fond c’est de ma seule conviction qu’il s’agit et elle importe assez peu.
Il n’empêche que, vu de l’extérieur je l’admets, trancher cette discussion ne semble pas du tout évident (sinon il n’y aurait pas de discussion) et donc le doute, à la fois sur la position du Professeur Raoult et celle du Lancet, est tout-à-fait légitime. Avoir la certitude absolue, mordicus, que l’une ou l’autre de ces positions est la bonne et l’autre la mauvaise, est probablement assez présomptueux.
Mais pour le formateur (en IFSI, en formation continue…), pour le soignant qu’en est-il ? Ils sont sans doute plus aptes que je ne le suis à jongler avec tout ce qui se dit et se discute. Mais ils ne sont pas dans la réflexion, ils sont dans l’action. Ils doivent soigner ou former.
Je ne me lancerai pas dans la discussion sur le soin (c’est trop loin de moi) mais plutôt sur celle du formateur.
Cofondateur d’une solution qui s’inspire de l’analyse de pratique et de l’échange des savoirs d’expérience, j’ai eu l’occasion de présenter Tuttis à de nombreux formateurs.
Juste quelques lignes pour vous la présenter et vous expliquer pourquoi cette polémique m’intéresse :
Le principe de la plateforme est de permettre à l’usager (infirmier ou étudiant en soins infirmiers) de créer 4 types de contenus :
- L’Expérience Partagée (c’est la description d’une situation de soin : le contexte, le déroulement, les causes, les conséquences, les questionnements et ce que l’on a appris de cette situation)
- La Question (toujours associée à un contexte pour éviter des questions d’ordre général)
- Le Si-Alors (SI il se passe ceci, ALORS voilà ce que l’on peut faire). C’est un conseil, une recommandation, un truc, une astuce…
- Le Lien (Associé à un Si-Alors, c’est une référence Internet)
Comme ce sont les usagers qui écrivent sur la plateforme, et bien qu’ils s’engagent à être du métier (IDE ou ESI), la question de la modération revient très souvent sur le tapis.
Tout contenu peut être signalé et nous décidons de le supprimer ou non de la plateforme.
Mais pour certains formateurs, l’enjeu est de savoir s’ils peuvent utiliser un outil qui potentiellement peut receler des erreurs (puisque les contenus sont créés par les usagers de la plateforme). Par ailleurs, pour un même soin, il peut y avoir plusieurs pratiques différentes, répondant plus ou moins aux canons académiques. Ne risque-ton pas de « perdre » le stagiaire, d’instaurer de la défiance dans ce qu’il lira ?
Le premier point est de ne pas positionner Tuttis comme un guide de bonnes pratiques. Nous ne souhaitons en aucun cas être une HAS bis. Et il faut le dire clairement, dès le début, pour bien positionner les attentes de l’utilisateur de la plateforme.
Le deuxième point, le plus important, est de savoir quelle est la responsabilité du formateur dans un monde où la vérité absolue, la vérité dogmatique n’existe plus. Et c’est bien ce que nous prouve, de façon emblématique, la controverse entre le Professeur Raoult et le Lancet.
Le formateur ne peut plus se positionner face à ses étudiants en leur expliquant qu’il détient La Vérité. À l’époque des fake news, il n’y a plus de Vérité Unique et Révélée. Le devoir du formateur, au moment où tout est relatif, est de responsabiliser son auditeur sur ce qu’il reçoit. C’est l’auditeur, qu’il soit étudiant ou professionnel, qui doit décider de ce qu’il fait de l’information qu’il reçoit. Il doit apprendre à sourcer, comparer, challenger l’information qu’il voit, qu’il écoute ou qu’il lit. D’où qu’elle vienne, que ce soit de son formateur, d’un réseau social, d’un article professionnel, d’un ouvrage, d’un collègue…
Nous croulons tous sous l’information. Elle provient d’une multitude de canaux différents, plus ou moins légitimes et, sans parler de l’obsolescence qui est un vrai sujet, chacun doit savoir faire le tri de ce qu’il prend ou laisse de côté.
C’est sans doute l’un des aspects les plus nobles du métier de formateur : apprendre à s’approprier cette compétence. L’ambition n’est pas neuve et Montaigne le disait bien avant nous : « Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine ».
Nous sommes persuadés que cela devient, et le sera de plus en plus, l’une des dimensions essentielles de la formation : engager l’étudiant à une posture réflexive. Nous n’inventons rien et c’est inscrit dans les référentiels de formation (en tous cas pour les soins infirmiers).
Nous le savons tous, les budgets se réduisent et le digital est l’un des moyens de continuer à assurer la formation en répondant à ces contraintes financières. Comment prendre en compte la nécessité de renforcer la posture réflexive des stagiaires ? Comment leur apprendre à faire face à l’inédit des situations qu’ils rencontreront ?
Les solutions d’e-learning (avec toutes les approches : e-leçons, classes virtuelles, jeux de rôles, classes inversées…) et les solutions de simulation adressent-elles cet enjeu ? Nous sommes convaincus qu’une solution comme Tuttis est complémentaire à ces approches et permet à ses utilisateurs de prendre du recul, d’ancrer leurs apprentissages dans leur pratique professionnelle et de développer leur regard critique.